Partie 2 – Les grands-parents français
Sans doute que mes parents préfèreraient nous avoir un peu plus près, mais ainsi va la vie. Nous nous voyons trois-quatre fois par an, et à chaque fois pour des expériences assez uniques. Plus que la bi-culturalité de mon fils, je pense que c’est la manière dont je l’élève qui pourrait être déstabilisante pour eux : peu d’autorité, beaucoup de conciliation, le laisser s’exprimer – peindre un éléphant en rouge choque ma cartésienne de mère, de même que le non-respect des règles d’un jeu ! Mais ils s’y font.
Il faut aussi dire que je leur ai peu laissé mon fils, simplement parce que je l’ai emmené dans tous mes voyages. C’est donc une relation un peu différente que celle que j’ai pu avoir avec mes grands-parents chez qui je passais des semaines avec mes cousins. Mais mon fils les adore, comme il vénère mes frères.
La grand-mère française
Ma mère est une mamie gâteau. En plus des vêtements et de la multitude de petits cadeaux, elle organise aussi souvent pour lui des ateliers, comme ma grand-mère, institutrice de maternelle, le faisait avec moi et mes cousins. Et voilà que ma mère, que je n’ai jamais vu bricoler, peint des galets et fabrique des avions à partir de bouteilles ! Elle dit parfois qu’elle n’en fait pas assez, qu’elle n’est pas la grand-mère qu’elle voudrait être, mais mamie a une place bien particulière dans le cœur de mon fils.
« Notre expérience de la bi-culturalité a réellement commencé lors du mariage de notre fille avec notre futur gendre indien en juin 2014.
Il faut préciser que ma fille et mon futur gendre avaient complètement pris en charge l’organisation de leur mariage avec un choix délibéré de mélanger tradition indienne et tradition occidentale.
Selon la tradition indienne, le mariage s’est déroulé sur trois jours. Le 1er jour était consacré à la prise de contact entre les familles et les invités autour d’une séance de tatouages temporaires au henné. Le 2ème jour, le jour de la célébration selon le rite hindou, toutes les femmes invitées étaient habillées en sari (pour les femmes occidentales, le drapage des saris avait été réalisé par des femmes indiennes et cela valait certainement mieux). Que nous étions toutes, Indiennes et Européennes, élégantes dans nos saris !!! La mariée, quant à elle, était habillée, selon la tradition, d’un sari rouge, couleur porte-bonheur dans la plupart des mariages en Asie (adieu le blanc, symbole de virginité en Occident). Les hommes portaient le dhoti, sorte de sarong indien. Toutes ces couleurs rendaient l’ambiance très gaie (ça change du traditionnel trois pièces de nos hommes, bien qu’heureusement là aussi la tradition vestimentaire évolue rapidement en Occident).
Le même jour, la tradition aurait voulu que le futur marié arrive à dos d’éléphant ou à cheval mais il a cédé à un élan de modernité en arrivant à moto avec ses témoins et amis dans un tintamarre de klaxons. A son arrivée, il se présenta à la Maman de la mariée qui lui versa une poignée de grains de blé sur la tête pour assurer prospérité au jeune couple ; puis à la Tante de la mariée qui dut faire tourner une lampe à encens au-dessus de sa tête afin d’éloigner les mauvais esprits ; enfin le plus jeune frère de la mariée lui lava les pieds en échange de quelques pièces d’or (heureusement qu’il y avait cette perspective car laver les pieds n’est pas une pratique courante chez nous et mon fils n’y est pas allé de très bon cœur). Une fois le rite accompli, le jeune marié fait partie intégrante de sa belle-famille. Du côté de la mariée, accompagnée par son père, elle est venue le rejoindre sous un dais décoré et très coloré. Son futur mari lui a remis une parure de bijoux en or jaune, un autour de sa tête, un autour de cou. Il y a, comme un peu partout dans le monde, le moment de stress où le marié a du mal avec la fermeture du bijou et a failli étrangler sa promise !
La cérémonie fut suivie d’un déjeuner offert par la belle-famille pour sceller l’alliance des deux familles. Dans notre cas, il s’agissait d’un déjeuner kéralais servi dans d’immenses feuilles de bananier, remplies de toute une série de petits plats. Pour notre plus grande satisfaction, les plats n’étaient pas trop épicés ; par contre, la vraie expérience a consisté à manger avec nos doigts : c’est quand même très chic pour un repas de noce.
Le 3ème jour, la cérémonie s’est déroulée selon la tradition occidentale : mariée habillée en blanc, marié en costume avec nœud pap, échange des vœux et des alliances. Puis, sous une pluie tropicale (nous étions à Goa, en juin, en plein cœur de la mousson), la musique s’est mise à enflammer la piste de danse. Là, rien de très différent par rapport à nos soirées : c’est la même jeunesse, les mêmes musiques, avec quand même une chorégraphie bollywood préparée par les amis de la mariée, indiens et français…
Notre expérience de la bi-culturalité s’est encore élargie avec la naissance de notre petit-fils. En Inde, avant deux-trois mois, les nouveaux nés ne quittent pas la maison. Mais là, en parfait accord avec notre gendre, nous avons fait fi de la tradition : deux semaines après sa naissance, nous l’avons emmené ainsi que toute la famille en avion à Goa pour les fêtes de Noël. Nous étions confortablement installés dans un hôtel de standing donnant sur la plage. Bien installée dans un fauteuil sur la plage, j’avais la responsabilité de surveiller notre petit-fils pendant que ses parents profitaient de la mer ; nous l’avions précautionneusement installé à l’abri du soleil sous un parasol. Le regard quelque peu interrogateur de femmes de chambre passant près de nous m’a quelque peu déstabilisée. Elles étaient en effet vraiment surprises d’entendre un nouveau-né réclamer à corps et à cris le sein de sa mère sur une plage. Mais finalement, je me suis convaincue que c’était bien pour notre petit-fils de pouvoir profiter de l’air iodé du bord de mer. D’autant que ce séjour a été rien moins que miraculeux : il ne prenait pas de poids, le pédiatre s’inquiétait et voulait lui faire prendre du lait en poudre ; quelques jours à Goa et l’allaitement s’est mis en place comme il fallait !
Notre petit-fils, comme tous les enfants du monde, a bien vite grandi. Il est désormais habitué à nous voir en Inde lorsque que nous leur rendons visite. A ces occasions, il est très fier de nous présenter à ses camarades de classe, à ses enseignants ainsi qu’au Directeur de son école. Lors de ses visites en France, nous avons remarqué qu’il avait déjà de nombreux repères : dans le taxi qui le ramène de l’aéroport, il reconnaît immédiatement la rue dans laquelle nous habitons ; il sait également très bien le chemin qui le conduit au parc le plus proche. Pour les repas, alors qu’en Inde, dresser la table est d’une simplicité enfantine (on mange avec ses doigts donc pas besoin de couvert), en France il est très content de pouvoir nous montrer qu’il sait utiliser correctement son couteau et sa fourchette. Pour nous aider à mettre le couvert, Il a même appris à disposer les couverts selon l’étiquette française et ça a l’air de l’amuser.
Bien qu’il comprenne parfaitement bien le français, il a du mal à le parler sauf pour dire de façon surprenante quelques mots français dont il ne connaît pas la traduction anglaise tels que « buanderie » et « brouette ». Ça a toujours été très touchant de l’entendre dire ces mots avec application alors que ce ne sont quand même pas des mots très fréquents. Par ailleurs, il adore quand son grand-père lui parle français avec l’accent stéphanois ; du coup, à six ans, il a commencé à vraiment parler français en imitant cet accent qui le fait rire.
Comme tous les enfants, il est très espiègle. J’ai fait le choix de lui parler systématiquement en français (sa mère lui parle en français mais aussi en anglais dans les cas d’actions à exécuter rapidement ; par contre, quand je le sens fatigué, j’accepte de lui parler en anglais aussi bien que je le peux !!! Et là, Il n’hésite pas à me corriger les fautes de vocabulaire et/ou de prononciation : c’est un bon exercice d’humilité et une excellente façon d’améliorer mon anglais.
Nous vivons donc plutôt bien la bi-culturalité au sein du couple de notre fille et de notre gendre. Grâce à Skype et maintenant à WhatsApp, il est relativement facile de gérer l’éloignement : nous avons au moins deux à trois contacts par semaine. Notre petit-fils, depuis ses cinq ans, échange même quelque fois directement avec nous sur WhatsApp avec le téléphone de ses parents.
Pour conclure, je souhaiterais partager une remarque adorable de notre gendre ; alors qu’il avait retrouvé la poupée noire que j’avais rapportée des Etats-Unis à notre fille pour l’anniversaire de ses sept ans : « Maintenant, je comprends mieux pourquoi vous avez accepté d’accueillir un gendre à la peau foncée. »
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